Zones grises

Bologne, Piazza Verdi, samedi 23 juin 2018.

Sous les étoiles, l’écrivain Guido Armellini parle… et parle bien. Il défend des causes qui semblent perdues, comme celle des migrants. Il défend aussi la culture et le livre. Il recommande à ses nombreux auditeurs d’écrire non seulement ce qui leur semble beau mais aussi d’exprimer leurs mauvaises pensées, d’explorer leurs zones grises.
Je me sens si bien ce soir-là qu’il ne me vient aucune pensée désagréable. Puis, après quelques semaines, quelques mois, les deux personnages que vous allez découvrir ont commencé à se quereller de plus en plus fort dans ma tête…


Une nuit  douce de printemps, à Bologne. Anna et Luigi viennent de dîner chez des amis et rentrent à pied chez eux en marchant sous les arcades. Anna est nerveuse. Luigi part sur un petit discours où il commente les événements de la soirée. Anna se retient.
Luigi     – La soirée n’était pas désagréable. Mais je ne sais pas si je retournerai chez eux…
Anna     – Et pourquoi ?
Luigi     – J’ai de plus en plus de mal à supporter les grands discours de Valerio.
Anna (elle fait la moue) – Ah…
Luigi     – Il est en train de réussir brillamment sa carrière à l’université, bientôt une année sabbatique à Berkeley, il forme un couple formidable avec Elena et ils ont la chance d’avoir ces deux merveilleux enfants. Ok, tout va bien pour eux, on le sait. Pas besoin d’en rajouter, de s’émerveiller devant les gribouillis de la petite, adorable cela dit, de raconter pendant vingt minutes comment le jury s’est extasié sur sa thèse de doctorat, comment sa femme est une excellente cuisinière, je dois avouer qu’il a plutôt raison sur ce point, comment…
Anna     – Stop, ça va, j’ai compris !
Luigi     – Quoi ? Tu as compris quoi ?
Anna     – Tu vas une fois de plus énumérer tout ce que les autres ont de bien et que nous n’avons pas. Pire, tout ce qu’ils sont et que nous ne sommes pas. Tout ce qu’ils deviendront et que nous ne deviendrons jamais. Voilà pourquoi « stop ». Pas un mot de plus. Stop.
Luigi     – Tu as un de ces sens du dialogue…
Anna     – Il n’y a pas de dialogue. Ta rengaine, je l’ai déjà entendue cent fois.
Luigi     – Je te suis infiniment reconnaissant de m’avoir prêté si souvent une oreille attentive.
Anna     – Laisse tomber ton petit air ironique à la noix. J’étais plutôt de bonne humeur toute la soirée, mais tu m’as carrément gâché le plaisir.
Luigi     – De bonne humeur ? Toute la soirée ? C’est pas possible, on n’était pas au même endroit…
Anna     – Et bien, figure-toi que, comme tu le disais toi-même, je ne l’ai pas trouvée désagréable cette soirée. Elena est vraiment une bonne amie. Et faut-il encore que je te rappelle combien j’aime la compagnie des enfants…
Luigi     –  Pas un mot de plus. Stop.
Anna     –  Tu as un de ces sens du dialogue…
Luigi (commençant à s’échauffer) –  Il n’ y a pas de dialogue. Ta rengaine, je l’ai déjà entendue cent fois.
Anna     –  Je te suis infiniment reconnaissante…
Luigi (la coupant nerveusement) – Arrête Anna, je ne joue plus.
Anna     – Très bien, moi non plus, je ne joue plus. Oui, je  te l’ai dit cent fois : je veux un enfant ! Je veux qu’on ait un enfant. C’est clair ?
Luigi     – Ce n’est pas si simple…
Anna     – Avec toi, rien n’est simple. Même respirer devient toute une histoire.
Luigi     – Oh, je t’en prie…
Anna     – Quoi : « Oh, je t’en prie ! »
Luigi     – Tu n’as jamais cru que j’étais vraiment asthmatique, n’est-ce pas ?
Anna     – Jamais ! Tu l’es quand ça t’arrange. Je suis certaine que tu n’y as jamais cru non plus.
Luigi     – J’aimerais bien t’y voir…
Anna     – C’est à la portée de tout le monde de faire semblant de s’étouffer quand on a quelque chose de déplaisant à faire. Et déplaisant n’est pas le mot ; de courageux, plutôt.
Luigi     – Tu ne penses pas vraiment ce tu dis… Parce que tu trouves que c’est courageux d’avoir un enfant. Mais ce n’est pas du courage, c’est de l’inconscience, Anna, de l’inconscience !
Anna     – Peut-être, mais c’est la vie, tout simplement. Et de temps en temps, tu n’as pas l’air de trouver ça trop nul, la vie. Quand tu t’empiffres de petits gâteaux avec ton petit thé favori; quand mes amies se pâment devant ton talent, ta générosité, ta capacité à aider les autres; et quand tu jouis en moi, hein, tu n’as pas l’air de trouver ça si mal, la vie ?
Luigi     – C’est comme ça que tu me vois, Anna ?
Anna     – Mais c’est comme ça que tu es, chéri, un jouisseur repentant, ni plus, ni moins. C’est le repentir qui t’empêche de redonner un peu de ce cadeau que ta mère t’as fait ?
Luigi     – Ce n’est pas…
Anna     – … si simple. Excuse-moi, je ne m’étais jamais aperçue que tu trouvais cela compliqué de me baiser.
Luigi     – Anna !
Anna     – Quoi, Anna ? Tu ne vas pas jouer les offusqués maintenant ?
Luigi     – Ne me rends pas la tâche plus difficile qu’elle n’est.
Anna (très énervée) – Quoi, qu’est-ce qu’il y a de difficile ? Un homme, une femme s’aiment, ils font l’amour, ils ont des enfants. Qu’est-ce qu’il y a de difficile ?
Luigi     – Tu ne t’es jamais demandé pourquoi tu n’étais pas enceinte ?
Anna     – Je t’aime, je suis patiente.
Luigi     – Tu risques d’attendre très longtemps.
Anna     – Tu as eu les résultats de tes examens ?
Luigi     – Oui.
Anna     – Et tu comptais m’en parler quand ?
Luigi     – Quand le moment serait propice !
Anna     – Et nous y sommes ? Au moment propice ?
Luigi     – Oui, j’ai toujours aimé les arcades, la nuit, la douceur du soir. Tu te souviens de ma première déclaration ?
Anna     – Abrège ! Ces résultats !
Luigi     – Comme tu voudras. Mes spermatozoïdes sont rares et peu mobiles, quasiment amorphes. En clair, tu as autant de chances de tomber enceinte avec moi que de gagner au loto.
Anna     – Cent pour cent des gagnants ont joué, n’est-ce pas ? Alors, moi je joue et j’attends le gros lot…
Luigi     – Tu n’as pas l’air de bien comprendre…
Anna     – Comprendre quoi ? Que j’ai tiré le mauvais numéro ? Que je vais devoir me morfondre le restant de mes jours ? C’est pas mon style, tu le sais très bien.
Luigi     – Ça, quand tu veux quelque chose, généralement tu ne lâches pas. C’est comme ça, tu viens d’une grande famille de battants.
Anna     –  Tu ne t’en es pas plaint jusqu’ici ? Alors, toi, le grand conciliateur, le généreux homme de gauche, tu proposes quoi ?
Luigi (très maître d’école) – Ben, y’a pas trente-six solutions, à vrai dire. Primo…
Anna     – Tu vas pas me faire un cours, quand même ?
Luigi     – Tu me demandes ce que je propose, je te réponds simplement, objectivement. Primo, nous adoptons. Secundo, tu essayes l’insémination artificielle. Enfin, tu refais ta vie avec un nouveau compagnon en t’assurant auparavant qu’il n’est pas stérile. Ce n’est évidemment pas la solution que je privilégierais. Parce que…
Anna     – Parce que…
Luigi (hypocrite) – …je ne te le dis peut-être pas très souvent, mais je t’aime Anna. Je ferais beaucoup de choses pour toi. Alors, si je devais m’effacer pour que tu sois heureuse…
Anna     – Tu ne vas pas jouer les malheureux et pleurnicher « dans la douceur du soir », je déteste ça. Désolée mais aucune de ces solutions ne me convient. Trop logique, trop technique, rien de romantique, rien d’humain là-dedans.
Luigi     – Toi, t’as une idée derrière la tête.
Anna     – Oui et je ne suis pas certaine qu’elle te plaise. Quand je vois, là-bas, ces femmes, ces hommes qui n’ont rien, qui dorment chaque soir ici, sous ces arcades, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, je me demande quel genre d’êtres humains nous sommes pour ne pas lever le petit doigt, ne serait-ce qu’une fois, pour leur venir en aide. Je sais que tu fais tout ce que tu peux au centre d’accueil pour faciliter leur intégration. Mais c’est ton métier, tu es payé pour ça. Ce n’est pas comme ça qu’on exprime sa compassion.
Luigi     – Tu veux dire que je ne m’implique pas assez dans mon travail ?
Anna     – Je te dis juste que c’est un travail, point barre. Il y aurait à mon avis une autre façon de venir en aide à ces femmes surtout.
Luigi     – Laquelle ?
Anna     – Ce serait de s’occuper d’un de leurs enfants !

La lumière baisse et l’on entend l’histoire de Nafissah en voix off.


Je m’appelle Nafissah, j’ai 25 ans, je suis camerounaise. Un matin de septembre 2017, je me suis dit que  ça ne servait plus à rien de rester dans mon pays. Alors, j’ai mis mon enfant de six mois dans mon dos, fait un paquet avec quelques affaires et je suis partie avec quelques compagnes. Pour donner un avenir meilleur à nos enfants. Sans dire au revoir à personne. On a remonté le Cameroun, puis traversé le Nigeria, le Bénin et le Niger pour atteindre l’Algérie. Contre des centaines d’euros, on a embarqué dans un Zodiac pour la France mais on s’est fait arrêter par la marine algérienne. Il était quatre heures du matin et on voyait les lumières du port de Marseille. On était toutes en larmes.

Obligées de quitter l’Algérie, on a tenté une deuxième traversée, rejoint la Libye mais échoué encore au milieu de la Méditerranée. Des pirates libyens en jet-ski ont kidnappé cinq d’entre nous et le capitaine de notre embarcation, puis ils ont tiré sur le Zodiac. Ils ont tué un Ivoirien et nous ont abandonnés en pleine mer avec le bateau percé qui coulait. On a attendu trois heures dans l’eau, avant que les gardes-côtes libyens arrivent.

Je ne sais pas comment on a survécu, mon bébé et moi. On est envoyés en prison en Lybie, où des milliers de migrants subsahariens sont enfermés sans pouvoir se laver. J’ai vu mes camarades faire leur toilette avec leur urine. Certaines l’ont bue tellement elles n’avaient rien.

Je suis restée des mois dans cet enfer libyen, avant d’être rapatriée à Yaoundé avec d’autres Camerounais. Ma famille était contente, moi je suis en vie, mon bébé aussi. L’idée de partir ne m’a jamais quittée.

Adaptation d’un article de Télérama, Eté 2018


Anna     – Tu n’iras pas leur demander un de leurs enfants, hein, Luigi ? On pourrait bien s’en occuper tous les deux ? On serait de bons parents pour ce petit malheureux, non ?
Luigi     – Ecoute, Anna, je ne pense pas que ce soit une bonne idée. En théorie, oui, cela semble généreux. Mais en théorie, seulement. Parce que c’est quoi ta motivation profonde ? Ils ont faim, ils ont froid, ils ont vécu les pires épreuves pour arriver jusqu’ici; et toi, tu ne penses qu’à « prendre » un de leurs petits pour toi. Pour toi, Anna, pour toi seule. Parce qu’il n’y a qu’une seule chose qui t’intéresse, une seule : « avoir » un enfant. Je pense qu’au fond tu n’as aucune pitié, aucune. Tu veux un enfant, à n’importe quel prix !
Anna (explosant) – Tu m’emmerdes avec tes grands discours. Et toi, qu’est-ce que tu fais de mieux ? Tu baisses le regard en passant, au mieux tu leur adresses un petit sourire gêné et tu les laisses crever de faim, geler dans la rue ! Oui, j’ai envie de prendre un de ces gamins dans mes bras, de le réchauffer, de le nourrir, de le soigner, de le chérir. Oui, oui, oui ! Tu sais ce que ça veut dire, chérir quelqu’un ?
Luigi     – Tu crois que tu as le monopole de la tendresse ? Tu crois que j’en ai jamais rêvé de sentir mon petit tout contre moi, de sentir son odeur, son souffle chaud dans mon cou quand il s’endort, qu’il s’abandonne. Peut- être le seul être qui me ferait confiance pendant quelques années. Oui, bien sûr que oui, je trouverais ça agréable, que ça me ferait plaisir. Mais, ce qui me retient, c’est la peur, tu vois. Une frousse énorme, la chienne. La peur qu’il parte, qu’il nous quitte et que nous restions là avec nos mains qui tremblent tellement qu’on ne puisse même pas essuyer nos larmes. Et au bout du compte découvrir que je ne lui ai rien appris d’utile. Ou pire que je ne lui ai même pas donné envie de vivre. Et ça, tu vois, je ne sais pas si je le supporterais.
Anna      – Mais j’espère bien qu’il partira. Tu vois comme tu es. Il y a à peine trois minutes, tu me reprochais de vouloir m’en approprier un. Et là, c’est toi qui voudrais qu’il reste toujours, toujours à portée de main, de regard, sous ton contrôle.
Luigi     – Ce n’est pas une question de contrôle ! C’est une question d’honnêteté envers lui.
Anna     – Tu m’embrouilles, Luigi, avec tes discours. Tu parles, tu parles, c’est tout ce que tu sais faire. Tu fais l’autruche, oui l’autruche ! Tu fais comme ceux qui ne mettent pas leurs lunettes pour ne pas voir la douleur, la crasse, ici, là, partout.
Luigi      – Oui, je préfère le flou artistique à la réalité cruelle. Et alors ?
Anna     – Et alors, vas leur expliquer, comment ils peuvent bouffer avec ton flou artistique !
Luigi (qui vient de voir une femme se détacher du groupe d’immigrants) – Arrête de hurler deux secondes…
Anna (elle crie) – Si je veux !

La femme immigrante s’approche avec un bébé dans les bras. Dès qu’elle l’aperçoit, Anna se calme, se sent confuse.

Anna     – S’cusez-moi, je ne vous avais pas vue.

Luigi, fuyant, regarde à terre; Anna s’approche de la femme au bébé, tout attendrie.

Anna     – Il est mignon. Il a de beaux cheveux bouclés. Mais… comme il a les yeux brillants…

La femme gémit, prend l’air suppliant.

Anna     – Il est malade, c’est ça ? (Elle pose la main sur le front du bébé) Il est brûlant… (Elle soulève un peu le châle dans lequel est enveloppé l’enfant) Il tremble de tout son corps…

Luigi s’est éloigné, regarde par terre, n’a visiblement pas envie de s’impliquer dans la situation.

Anna     – Luigi, il faut faire quelque chose ! Luigi !
Luigi     – Quoi ?
Anna     – Je ne sais pas, c’est toi le spécialiste de l’intégration des migrants, non ? Alors, bouge-toi les neurones !
Luigi     – Ce n’est pas du tout la même situation, j’interviens dans le cadre d’une institution, de personnes en voie de régularisation. Cette femme dans la rue…
Anna     – Quoi, cette femme dans la rue ?
Luigi     – Je ne vois pas trop ce que je peux faire pour elle…
Anna     – Et le petit ? Tu ne l’as même pas regardé ? Luigi, merde !

La lumière baisse et l’on entend la Prière laïque d’Erri de Luca en voix off


Notre Mer qui n’es pas aux Cieux,
Qui embrasses les frontières de l’île et du monde
Que ton sel soit sanctifié
Que bénies soient tes profondeurs
Accueille les embarcations trop pleines
Sans une route par-dessus les ondes
Les pêcheurs sortis dans la nuit, leurs filets parmi tes créatures
Qui reviennent au matin avec la pêche des naufragés sauvés

Notre mer qui n’es pas aux cieux à l’aube tu prends la couleur du froment
Au coucher du soleil, celle des raisins à la vendange
Nous t’avons semée de noyés, plus que n’importe quelle tempête
Notre Mer qui n’es pas aux cieux
Tu es plus juste que la terre ferme
Même quand tu soulèves les ondes en muraille
Que tu les abaisses comme un tapis
Tu gardes les vies, les visites, tombées comme des feuilles sur les boulevards
Tu fais office d’automne pour elles, de caresse, d’embrassade, de baiser sur le front
De mère et de père, avant le départ.


La mère insiste, gémissant de plus en plus. On finit par comprendre  : « Save my child, please »

Luigi     – C’est toi le médecin, pas moi. Oui ou non ?
Anna     – Ok, j’ai compris. En dehors de ton bureau, de ton institution, y’a plus personne. C’est nul, Luigi ! Nul, tu m’entends ?

Luigi se détourne. Anna se rapproche de la mère, lui caresse l’épaule.

Anna     – I am a doctor. Ça va aller, laissez-moi l’examiner.

Anna examine l’enfant quelques secondes, sa mine est inquiète. Elle va vers Luigi et lui dit à voix basse.

Anna     –  Ça va pas du tout, je crois qu’il commence à convulser.
Luigi     – Appelle les secours. Ils seront là en quelques minutes, c’est tout ce qu’on peut faire.
Anna     – C’est tout ce que TU peux faire ! Luigi, je pense que t’as bien compris. Cet enfant, c’est notre dernière chance, si on le sauve et on l’adopte. Sinon…
Luigi     – Sinon quoi, c’est un ultimatum ?
Anna     – Parfaitement. Soit tu m’aides, tout de suite, là maintenant, en expliquant à cette femme que son enfant a besoin de soins urgents, qu’il faut qu’elle me laisse l’emmener à l’hôpital, tout de suite. Soit, tu…
Luigi     – Oui ?
Anna     – Tu me laisses me débrouiller toute seule. Mais tu disparais de ma vue, de ma vie. Compris ?

La mère revient à la charge : « Save my child, please »

Luigi     – Tu ne trouves pas que tu essayes de profiter de la situation ?
Anna     – J’ai pas le temps de discuter. (Elle fait des signes à la mère, indiquant qu’elle veut emmener l’enfant) Hospital, hospital…

La mère approuve de la tête.

Luigi     – Tu réalises dans quoi tu t’embarques ?
Anna     – Dans ce que je fais depuis des années : soigner des enfants.
Luigi     – Non, pas seulement. Quand tu l’auras sauvé, car je ne doute pas que tu y arrives, est-ce que tu lui rendras ? Une dernière fois,  Anna  : appelle les secours.
Anna     – La ferme. Il convulse. Où est l’hôpital le plus proche ?
Luigi     – A sept minutes à pied, cinq en se dépêchant.
Anna     – Alors, j’y vais. Viens, mon bébé.

Elle prend l’enfant des bras de la mère, qui résiste un peu et finalement la laisse faire. Luigi se détourne, les yeux fixant le sol.

Anna     – Par où, l’hosto ?
Luigi (d’un signe de tête, sans relever les yeux) – Par là…
Anna     – Alors adieu !

Anna part en courant serrant l’enfant sur son coeur. Luigi se tourne vers la mère, la regarde longuement tandis que la lumière baisse sur la chanson « Cet enfant » d’Yves Simon.


Jamais je n’aurai cet enfant qui pleure
Un enfant qui rit auprès de moi
Pourtant je l’invente dans des rêves
Je le prends la nuit dans mes bras

Il grandira dans le ciel et le froid
Il apprendra les étoiles sans moi

Jamais je n’aurai l’être délicieux
Précieux comme la prunelle de mes yeux
Qui frapp’rait la nuit à ma porte
Pour me dire « Je veux que tu m’emportes »…