Atropacarus

Je m’appelle Atropacarus. Oui je sais, tout le monde trouve ce nom imprononçable, ridicule. Mais c’est le mien et je n’y peux rien. Je suis le premier à le déplorer. Si vous pensez que c’est facile de se faire des copines avec un nom pareil. Mais là, avec Jennifer, je crois que je tiens la perle rare. Il faut avouer que j’en ai connu un paquet de gonzesses. Mais il y avait toujours quelque chose qui clochait, comme un malaise qui s’installait entre nous, et elles finissaient toujours par m’éjecter. Parfois violemment, je peux vous le dire.

Je me souviens d’une fois où j’étais collé-collé avec Sandra. On filait le parfait amour. Et soudain, elle met fin à nos ébats et se précipite sous la douche. Comme si une mouche l’avait piquée. Remarquez, je la comprends, moi les mouches, je déteste cela. Elles sont imprévisibles dans leur parcours de vie, comme on dit aujourd’hui; bruyantes avec leur zonzonnement agaçant. Je ne suis pas contre l’hygiène bien au contraire, je serais plutôt maniaque de la propreté. Mais là, à la voir se savonner de la sorte, j’ai cru que c’était après moi qu’elle en avait. Comme si elle n’avait pas apprécié mon contact et tentait de le faire disparaître de ses souvenirs en frottant, frottant sa peau avec tous ces produits qui éliminaient la délicieuse petite sueur sucrée qui perlait son épiderme. Après cela, inutile de vous dire qu’elle n’a pas eu besoin de prononcer un mot. Je me suis senti en terrain hostile, j’ai pris mes cliques et mes claques et j’ai déguerpi. Pas besoin d’attendre les explications, voire les insultes. On a beau s’appeler Atropacarus, on a sa fierté tout de même.

Après Sandra, je n’ai pas sauté sur la première venue. Y’a pas à dire, se faire larguer comme un malpropre, ça fait un choc. J’ai pris le temps de la réflexion. Je voulais vraiment trouver l’âme soeur, une fille avec qui les échanges me feraient frissonner, une fille qui percerait ma carapace, une fille qui me mettrait à nu et m’aimerait comme je suis. Cela m’a pris du temps. J’ai cherché dans les bars, les restaurants de la ville. Un jour où j’étais mollement affalé dans mon resto favori, j’ai senti débarquer cette petite chinoise, toute délicate à la voix de mésange. Je me suis dit, ça y est mon heure est arrivée. Au début, tout a bien fonctionné entre nous. J’adorais sa peau laiteuse qui fleurait bon le jasmin. On a passé ensemble des heures délicieuses.

Mais on a beau dire la barrière de la langue, ça existe. Souvent, je la sentais perplexe, comme si elle ne saisissait pas vraiment ce que j’essayais d’exprimer. Je sentais alors sa chair frémir comme du lait dans une casserole sur le feu. J’en étais tout excité mais elle demeurait muette et réservée. C’était pour moi une frustration énorme. Déjà que j’étais extrêmement complexé par ma petite taille… A cela s’ajoutait la douloureuse impression de ne pas être à la hauteur. De ne pas parvenir à la transporter vers les sommets de la passion amoureuse. Alors, assez vite, on s’est lassé l’un de l’autre. Et un matin, un petit signe et puis adieu, sans cris, sans larmes. Un peu comme s’il ne s’était rien passé. Et pourtant, il se passe toujours quelque chose lorsque l’on pénètre l’une de ces délicieuses créatures. Certains disent qu’on y est plus proche de Dieu que dans une église. Pour ne rien vous cacher, c’est un peu mon avis.

Et bien pour confirmer cette impression, je me suis mis à fréquenter quelques églises. J’ai tout d’abord adoré leur parfum si particulier de spiritualité humide, ce mélange d’odeur d’encens et de gravures sacrées presque moisies. Très excitant, tout cela pour quelqu’un comme moi, qui préfère l’ombre fraîche à la brûlure du soleil, même si elle est bien plus à la mode. Loin de moi l’idée de scandaliser les âmes pieuses, mais une église constitue un terrain de chasse extraordinaire. Toutes ces créatures immobiles, recueillies, et pomponnées, parfumées pour la grand messe, ont de quoi vous faire perdre la tête.

C’est par un beau dimanche de mai que je l’ai vue entrer, elle, la blonde Jennifer, au regard innocent. Pendant toute la cérémonie, il n’y avait plus qu’elle et moi. Je me situais un peu derrière elle et je pouvais admirer le duvet doré de sa nuque. Je m’y serais plongé tout entier. Je sentais monter en moi un amour pur qui atteignit son paroxysme lorsqu’elle se mit en ligne pour la communion, le regard baissé sur les dalles centenaires, perdue dans ses pensées innocentes. J’ai cru défaillir lorsque, arrivée devant le prêtre, elle ouvrit délicatement la bouche, faisant toute la lumière sur des dents parfaites, et avança innocemment une langue aussi fraîche et veloutée qu’un pétale de rose sur laquelle l’homme d’église déposa machinalement une ostie en marmonnant. Mon sang se mit à bouillir et dès qu’elle eut regagné sa place, je ne la lâchai plus.

J’eus un peu de mal à faire sa conquête. Elle avait tout juste dix-huit ans. Et je crois qu’elle espérait se donner pour la première fois à quelqu’un qui présentât mieux que moi. Il est vrai que mon physique n’est pas commun. Mais j’ai su me montrer persévérant et après quelques semaines de cour assidue, elle a chaviré. Nous nous sommes alors aimés comme peu d’êtres sur cette Terre l’ont fait. Nous nous sommes offerts l’un à l’autre sans limites. Je ne me lassais pas de ses mimiques, de ses soupirs, de ses fluides. Je m’en délecte encore avec la même passion. Elle aussi sent de plus en plus ma présence, et ne peut plus guère se passer de moi. Mais elle est si jeune encore… Un jour, elle voudra des enfants et là, les choses vont se corser.

Ah, c’est pas facile la vie d’acarien. Mais Jennifer, je peux vous dire qu’elle m’a dans la peau !